Depuis quelques années, plusieurs équipes de recherche ont proposé de gérer les relations notionnelles sous la forme d'un réseau qui permet de mieux appréhender la notion au sein de son domaine. Cette approche les conduit petit à petit à s'intéresser à l'intelligence artificielle, pour laquelle l'interprétation des liens au sein des réseaux conceptuels est susceptible de produire de l'information nouvelle.
Cette communication a pour objectif de montrer que l'usage du réseau notionnel doit permettre de gérer divers problèmes d'équivalence dans une base de données multilingue. On y établit un parallèle entre l'établissement d'une équivalence en terminologie notionnelle et le mécanisme d'établissement des noeuds dans un réseau conceptuel. Ensuite, on y montre comment ce "principe d'équivalence notionnelle" (P.E.N.) permet de résoudre élégamment des problèmes de non-isomorphisme entre les langues, tout en préservant une approche descriptive. L'application du P.E.N. est justifiée à travers un modèle d'exploitation logique des liens hiérarchiques et coordonnés au sein d'un "réseau notionnel interlinguistique" (R.N.I.).
Mots-clés : terminotique, terminologie multilingue, intelligence artificielle, réseau notionnel.
L'approche notionnelle constitue l'un des fondements de la terminologie. Depuis plusieurs années, des équipes de recherche ont développé des logiciels permettant de naviguer au travers des réseaux notionnels et d'ainsi mieux appréhender la notion au sein de son micro-domaine. Des gestionnaires comme MC4 (Université de Clermont-Ferrand), Termisti (ISTI, Bruxelles), Code et (Université d'Ottawa) ou Ikarus (Université d'Ottawa) constituent autant de pas successifs vers la construction de bases de connaissances et vers l'intelligence artificielle.
Cet article a pour principal objectif de montrer que l'exploitation logique des réseaux notionnels au sein de bases de connaissances terminologiques (B.C.T.) multilingues devrait aussi permettre de gérer divers problèmes d'équivalence. Il se fonde sur un corpus d'exemples extraits de De la quille à la pomme de mât (Paasch 1901), un vaste dictionnaire nautique trilingue dont l'organisation notionnelle exemplaire a conduit à l'ébauche du modèle théorique ici exposé [note 1]. De par sa tâche d'expert maritime, son auteur, le capitaine Heinrich Paasch, a été inévitablement confronté au non-isomorphisme [note 2] des langues. Il est très aisé d'affirmer que tel ou tel dictionnaire est fondé sur une approche notionnelle. Rares sont pourtant, à nos yeux, les auteurs de terminographies multilingues qui vont jusqu'au bout de cette logique et distinguent réellement chacune des notions propres à chacune des langues envisagées.
La linguistique a depuis longtemps montré que toutes les langues n'approchent pas la réalité de la même manière et que de nombreux problèmes se posent lors de l'établissement d'équivalences. Eugen Wüster, le chef de file de l'école viennois, avait assurément pris conscience du fait que les systèmes de notions varient d'une langue à l'autre. En divers passages de son oeuvre [note 3], il a rappelé cet état de fait et regretté que de nombreux terminographes réalisent des oeuvres dans lesquelles le système notionnel est conditionné par une langue particulière, ce qui débouche inévitablement sur des impossibilités de traduction.
Face aux problèmes d'équivalence soulevé par la divergence notionnelle entre les langues, Wüster (1971 : 44-45) proposait pour solution d'adopter un système notionnel commun, normalisé [note 4] au niveau international. Son principal héritier, Helmut Felber (1987 : 131) ne semble pas échapper à la confusion qui ferait de la terminologie une discipline foncièrement normative, habilitée à déterminer une fois pour toutes ce qui existe et ce qui n'existe pas, soumettant toutes les langues de l'humanité au diktat conceptuel de quelques langues européennes. Aujourd'hui encore, Felber (1994 : 165) propose de procéder à une unification notionnelle en cas de non-isomorphisme. Il est pourtant paradoxal que dans le même temps il présente comme normal le fait qu'un même objet puisse être conceptualisé de manière différente selon les disciplines envisagées [note 5].
Dans un article intitulé Terminological Equivalence and Translation, Reiner Arntz (1993 : 6-7) se fonde sur le problème de la divergence dans la manière dont les langues désignent les couleurs pour montrer qu'il convient avant toute chose de décrire les systèmes notionnels propres à chaque langue. Pour Arntz, l'approche descriptive constitue le fondement d'une terminologie multilingue orientée vers la traduction. Elle permet de comparer les systèmes notionnels de chaque langue pour découvrir toutes les divergences à prendre en compte lors de l'établissement des équivalences. Il préfère toutefois ne pas recourir à la normalisation dans une perspective de traduction et propose de résoudre les difficultés éventuelles par des procédés linguistiques tels l'emprunt, la néologie et la paraphrase.
Cette perspective est intéressante, car elle consiste à rendre compatibles les réseaux notionnels de chaque langue plutôt que de les standardiser internationalement. Dans une terminographie multilingue, chaque langue doit pouvoir servir indistinctement de langue source ou de langue cible. La seule manière de satisfaire à cette exigence sans verser dans la normalisation semble bien être de fusionner les réseaux notionnels de chacune des langues considérées de manière à rendre compte de toutes leurs particularités. Pour établir ce réseau notionnel commun, que nous nommerons dorénavant réseau notionnel interlinguistique ou R.N.I., le terminologue doit nécessairement partir de l'observation des désignations de chaque langue pour identifier les concepts qu'elle véhicule (sémasiologie). La recherche des équivalents (onomasiologie) s'effectue ensuite, mais elle doit, autant que possible, être respectueuse des faits décrits.
Dans une telle perspective, l'activité de normalisation n'est pas une condition nécessaire à l'établissement de l'équivalence. Arntz (ibid.) décrit d'ailleurs la normalisation terminologique comme une activité parallèle, quand bien même elle est également précédée d'une phase descriptive. Contrairement à ce qu'affirme Felber (1987 : 152), l'approche descriptive n'est donc pas qu'"une phase préliminaire qui prépare le travail terminologique normatif"; elle peut aussi constituer le fondement d'une démarche d'établissement de l'équivalence.
S'il est arrivé à Wüster (1981 : 79) de parler de "système de notions international", il ne semble pas avoir voulu désigner par ces mots la démarche du R.N.I. décrite ci-dessus, mais plutôt les systèmes notionnels unifiés internationalement qui existent comme tels dans quelques domaines et qui ne requièrent donc pas de normalisation. Toutefois, l'introduction du Dictionnaire multilingue de la machine-outil montre que, confronté à la réalité des langues, Wüster (1968 : 2.19) a adopté une démarche plus descriptive que normative [note 6].
Dans un article fort intéressant, Bernard Levrat et Gérard Sabah (1990 : 93) rappellent que dans divers réseaux sémantiques, un lien d'équivalence permet de représenter les relations de synonymie. Ils montrent que "lors de la gestion automatique du réseau, ce lien peut être utile pour mettre en évidence des polysémies potentielles : si A est synonyme de B et si A est synonyme de C alors que B n'est pas synonyme de C, c'est que probablement A possède deux sens qui devraient être différenciés par deux noeuds du réseau."
Les réseaux, qu'ils soient notionnels ou sémantiques, sont bâtis sur une perspective conceptuelle. Cette citation montre que dans un réseau sémantique, la synonymie est basée sur l'équivalence entre deux concepts, comme l'est la traduction dans un réseau notionnel interlinguistique. Tout semble donc nous autoriser à transposer la loi qui vient d'être énoncée pour l'adapter à la distinction des notions (ou concepts) en terminologie traductionnelle. L'énoncé qui suit explique comment identifier les termes qui renvoient à plusieurs notions et qui devront vraisemblablement faire l'objet d'un dégroupement hyponymique au sein du R.N.I. :
Si A de L1 est équivalent à a de L2 et si A de L1 est équivalent à b de L2 alors que a de L2 n'est pas synonyme de b de L2, c'est que probablement A de L1 possède deux sens qui devraient être différenciés par deux noeuds du réseau. |
L1 | L2 | |
notion 1 | A | a |
notion 2 | A | b |
Ce principe, que nous dénommerons principe d'équivalence notionnelle (P.E.N.), est scrupuleusement respecté dans notre corpus de référence. Grâce au dégroupement homonymique, le terminographe y a veillé à ce qu'à chaque notion identifiée corresponde un terme adéquat. Ces dégroupements homonymiques peuvent être dus à une ou plusieurs langues :
Watch. The act of vigilance. | Veille. Action de veiller. | Wache; Wachen. |
Watch. The divisions of time by day and night on board a ship, when a certain portion of a vessel's crew are on duty. | Quart. Division du temps tant le jour que la nuit à bord d'un navire, pendant laquelle une certaine partie de l'équipage est de service sur le pont. | Wache. Die Zeiteintheilung bei Tag und Nacht an Bord eines Schiffes, an der ein gewisser Theil der Bemannung Dienst auf Deck hat. |
Watch. The men employed to form a watch; for instance : the half of the crew. | Bordée. Nom donné à la partie d'un équipage formant le quart. | Wache. Benennung für die Leute, welche eine Wache bilden (zu einer Wache gehören). |
(Paasch 1901 : 576) |
Pilotage. The skill or knowledge of a pilot respecting coasts, rivers, channels, currents, etc. | Pilotage. La connaissance d'un pilote des côtes, fleuves, courants, etc. | Lootsenkunde. Die Kenntniss eines Lootsen in Betreff der Küsten, Flüsse, Strömungen, des Fahrwassers u.s.w. |
[...] | [...] | [...] |
Pilotage. The money paid for the services of a pilot. | Droits de pilotage. Contributions perçues pour les services rendus par les pilotes. | Lootsengeld. Das, für die Dienste eines Lootsen gezahlte Geld. |
[...] | [...] | [...] |
Pilot-office. The building or the rooms in a sea-port, in which the Pilot-master and assistants conduct the business in connection with pilotage. | Pilotage. Bureaux de l'Administration du Pilotage dans un port, où l'inspecteur du pilotage et ses assistants dirigent les affaires se rapportant au pilotage des navires. | Lootsenwesen. Gebäude, in welchem sich die Büreaus einer Lootsenbehörde befinden und woselbst alle dieses Fach betreffenden Angelegenheiten erledigt werden. |
(Paasch 1901 : 512) |
Bien entendu, l'application stricte du principe d'équivalence notionnelle implique que la présence d'un synonyme dans l'une des langues concernées suffise à justifier le principe de dégroupement, conformément à la loi d'établissement des noeuds du réseau monolingue (Levrat et Sabah op.cit.). Par exemple, dans le passage suivant :
Breakwater. A structure of timber; iron or steel plates, say from one to four feet in height according to the size of the vessel, fitted across forecastle-decks (notably of large steamers) to break the force of any sea shipped over the bows. | Brise-lame. Construction en bois, en fer ou en acier, ayant une hauteur de un à quatre pieds selon la grandeur du bâtiment, fixée en travers d'un pont de gaillard (notamment sur les grands steamers) pour briser les lames ou pour diminuer la force de celles-ci lorsqu'elles s'élèvent sur l'avant du navire. | Brechwasser. Ein Gefüge von Planken, eisernen oder stählernen Platten, je nach der Grösse des Schiffes, ein bis vier Fuss hoch, welches quer über ein Backdeck (besonders bei grossen Dampfern) angebracht ist, um die Gewalt der über den Bug stürzenden Wellen zu brechen. |
(Paasch 1901 : 43) |
Breakwater. A stone-wall built up from the bottom of the sea, at the entrance of a bight, etc., to form a harbour, or to shelter one. | Brise-lames. Sorte de digue (ou mur de pierres) érigée sur le fond de la mer en avant d'un port et qui s'élève jusqu'au-dessus des eaux, pour amortir la violence des vagues, et protéger le port. | Wellenbrecher; Brechwasser. Eine am Eingange einer Bucht u.s.w. vom Grunde der See aufgebaute, deichähnliche Mauer, an welcher sich die Gewalt der Wellen bricht. |
(Paasch 1901 : 424) |
De nombreux cas de dégroupements homonymiques, tel le dernier cité, apparaissent d'autant plus justifiés que les notions concernées relèvent de sous-domaines différents et ne sont donc pas liées. Très souvent d'ailleurs, la prise en compte des liens notionnels corrobore la nécessité de distinguer plusieurs notions en vertu du P.E.N. Ainsi, il suffit de s'apercevoir que le terme peut être classé dans deux arborescences espèce-genre différentes pour se rendre compte qu'il recouvre vraisemblablement deux notions différentes.
On notera toutefois que des notions se distinguent parfois sur la base du seul réseau notionnel, sans qu'intervienne le P.E.N. : elles sont désignées par des termes homonymes dans chaque langue, mais recouvrent des réalités distinctes, liées par une relation fonctionnelle [note 7] qui ne s'exprime pas aisément.
Course. The direction, over sea, from one point of land to another. | Route. Chemin à parcourir par voie de mer, de l'un point de terre à un autre. | Kurs; Curs. Die Richtung über See, von einer Landspitze zu einer anderen. |
Course. The direction in which a vessel sails by compass. | Route. La direction qu'un navire suit d'après la boussole.tab | Kurs; Curs. Der Kompasstrich, auf dem ein Schiff segelt, um einen bestimmten Ort zu erreichen. |
(Paasch 1901 : 443) |
Une terminographie multilingue conçue sur la base du réseau notionnel d'une seule langue ne fonctionne correctement que lorsque ladite langue sert de langue source. Le rôle du principe d'équivalence notionnelle est précisément de répondre à l'une des exigences fondamentales du R.N.I. : que chaque langue puisse indifféremment servir de langue source ou de langue cible. Ce principe a toutefois pour corollaire inévitable un net accroissement du taux d'homonymie pour les langues qui possèdent les notions de plus grande extension. Tel est le cas chez Paasch, puisque comme l'attestent les extraits déjà cités, de nombreux termes homonymes sont présents dans De la quille à la pomme de mât.
A travers l'étude de ce dictionnaire, nous avons tenté d'isoler les principes théoriques qui expliquent comment et pourquoi le recours à l'homonymie permet, autant que l'emprunt, la néologie ou la périphrase, de résoudre des problèmes d'équivalence partielle. Nous avons ainsi été amené à découvrir que contrairement à nos prévisions, l'inévitable accroissement du nombre de notions au sein du R.N.I. était souvent restreint par un étrange mécanisme régulateur dont nous nous proposons d'analyser le fonctionnement.
L'idée que les relations qui lient les notions d'un même domaine ou sous-domaine forment un réseau porteur d'informations est fort proche de celle qui a conduit à l'élaboration des réseaux sémantiques. La comparaison peut aller beaucoup plus loin, puisque les relations qui entrent en jeu dans les réseaux notionnels et dans les réseaux sémantiques sont de nature voisine. Les cogniticiens, qui ont joué un rôle fondamental dans l'établissement des premiers réseaux sémantiques, ont mis en valeur le rôle fondamental de la relation hyponymique espèce-genre (ci-après, relation TY). A la suite des travaux de Quillian (1967), on pensait copier ainsi un processus cérébral de stockage lexical fondé sur le principe d'héritage des propriétés au sein d'arborescences fondées sur la relation hyponymique [note 8]. Or, ce type de relation occupe une place prépondérante dans la macrostructure du dictionnaire de Paasch et c'est l'exploitation de quelques principes liés à l'hyponymie qui permet d'y résoudre divers problèmes d'équivalences.
Pour montrer la manière dont fonctionne le R.N.I., nous allons isoler, à titre d'exemple, une petite partie du réseau notionnel du sous-domaine de la voilure (Paasch 1901 : 338-352). Ce domaine se révèle particulièrement intéressant dans la mesure où, pour dénommer des réalités identiques, l'anglais, le français et l'allemand ont adopté des systèmes de désignation fort proches et fondés sur l'hyponymie. Toutefois, diverses divergences de point de vue posent des problèmes d'isomorphisme entre ces trois langues.
En anglais, comme en français et en allemand, le système de désignation est fortement motivé, puisque les voiles sont nommées en fonction de leur emplacement. Le tableau n° 1 montre ainsi qu'en français, les voiles carrées se nomment de bas en haut basses voiles, huniers, perroquets et cacatois. On distingue le mât sur lequel elles se situent en joignant à leur nom (ci-après N) les adjectifs petit N (situé sur le mât de misaine), grand N (sur le grand mât), grand N avant (sur le grand mât avant), grand N central (sur le grand mât central) ou grand N arrière (sur le grand mât arrière). Pour le mât d'artimon, les désignations sont particulières (de bas en haut : perroquet de fougue, perruche, cacatois de perruche et contre-cacatois de perruche). A l'époque considérée, les huniers et les perroquets se subdivisent le plus souvent en deux voiles superposées; celle du dessous est dite fixe et celle du dessus est dite volante.
Tableau n° 1
La typologie des voiles carrées regroupe quelque 90 notions dans notre corpus (Paasch 1901 : 338-342). Ce nombre étant beaucoup trop important, nous avons choisi de restreindre l'objet de notre démonstration aux seules voiles dénommées cacatois (Royal, en anglais et en allemand) [note 9]. Un décompte très précis permet de dénombrer 8 notions se rapportant aux cacatois dans le corpus. Mais ces 8 notions appartiennent à un R.N.I. trilingue et constituent le résultat de la confrontation des réseaux notionnels anglais, français et allemand. En effet, si l'on se fonde sur les légendes des illustrations et les systèmes de désignation propres à ces trois langues, on obtient des arborescences distinctes, comportant chacune un nombre différent de notions qui se rapportent pourtant toutes aux mêmes réalités matérielles. Les arborescences anglaise et allemande englobent chacune 6 notions (tableaux 2 et 3), alors que l'arborescence française en comporte 7 (tableau n° 4). La confrontation des langues et la prise en compte des faits de chevauchement montre que l'on aboutit au total à 10 notions différentes [note 10]. Pourtant, pour rendre compte de la même réalité et permettre une traduction qui fonctionne quelles que soient la langue source et la langue cible, Paasch bâtit un réseau notionnel unique (R.N.I.) de 8 notions. Nous nous attacherons à découvrir dans les pages qui suivent comment une telle réduction peut se justifier.
[1] Royal | Cacatois | Royal; Oberbramsegel | |
[2] Fore-royal | Petit cacatois | Vor-Royal | |
[3] Main-royal | Grand cacatois | Gross-Royal | |
[4] Main-royal | Grand cacatois avant | Gross-Royal | 4MC 4MB 5MB [note 11] |
[5] Middle-royal | Grand cacatois central | Mittel-Royal | 5MB |
[6] Mizen-royal | Grand cacatois arrière | Kreuz-Royal | 4MC 4MB 5MB |
[7] Mizen-royal | Cacatois de perruche | Kreuz-Royal | 3MC |
[8] Jigger-royal | Cacatois de perruche | Jigger-Royal; Besahn-Royal | 4MC |
(Paasch 1901 : 341) |
Tableau n° 3
Tableau n° 4
Comme on le constate dans les arborescences 2, 3 et 4, les réseaux notionnels allemand et anglais sont identiques, mais diffèrent de celui du français. Lorsqu'on fusionne ces trois arborescences dans un R.N.I. trilingue, on s'aperçoit que telle notion de telle langue ne possède pas de correspondant dans une autre langue. Ainsi, le cacatois situé tout à l'arrière d'un trois-mâts carré (3MC) ou d'un quatre-mâts carré (4MC) se nomme toujours cacatois de perruche en français. Par contre, les locuteurs anglophones et germanophones distinguent le cacatois de perruche d'un 3MC (mizen-royal = Kreuz-Royal) de celui d'un 4MC (jigger-royal = Jigger-Royal). La notion française cacatois de perruche possède donc une acception plus large et ne possède pas d'équivalents dans les deux autres langues. Inversement, les notions mizen-royal = Kreuz-Royal et jigger-royal = Jigger-Royal sont plus restreintes et ne possèdent pas d'équivalent en français. L'arborescence n° 5 confirme cette différence, qui nous conduit à distinguer trois notions au sein du R.N.I. : la notion française, perçue comme hyperonyme, et les deux notions "anglo-allemandes", perçues comme hyponymes.
Tableau n° 5 :
Nous proposons de désigner sous le nom de notion "zéro" (ci-après abrégée notion Z) toute notion du R.N.I. qui apparaît comme non prise en compte dans une langue précise lors de la comparaison des réseaux notionnels propres à chaque idiome.
Si l'on observe les équivalences proposées dans le corpus de référence, on s'aperçoit que le terminographe fournit un équivalent à la notion Z hyponyme en ayant recours à son hyperonyme immédiat [note 12]. Ainsi, pour désigner en français les notions hyponymes mizen-royal = Kreuz-Royal et jigger-royal = Jigger-Royal, il réutilise le terme hyperonyme cacatois de perruche, qui, en français, renvoie à ce type de voile quel que soit le nombre de mâts.
Tableau n° 6 : R.N.I. adapté aux besoins de la traduction
Nous risquons le terme hyperonomase [note 13] pour rendre compte du processus qui consiste à désigner, dans une langue déterminée, une notion Z hyponyme à l'aide de son hyperonyme. Dès à présent, on perçoit que c'est l'hyperonomase qui engendre l'homonymie et que les notions Z désignées par hyperonomase ont toujours une extension plus restreinte que celle de leur hyperonyme, dont elles sont évidemment homonymes.
L'explication de l'équivalence n'est assurément pas aussi simple, car si l'hyperonomase permet de désigner les notions [7] et [8] dans chacune des langues, elle ne rend pas compte de la disparition de la notion Z hyperonyme cacatois de perruche dans le dictionnaire de Paasch. En effet, l'hyperonomase fournit un équivalent français aux deux notions hyponymes, mais point d'équivalents anglais et allemand à la notion hyperonyme. Dans le dictionnaire, les équivalents sont bel et bien prévus pour les notions [7] et [8], mais non pour la notion Z hyperonyme. En effet, la notion cacatois de perruche constitue au sein du R.N.I. un générique inutile, qui peut être aisément supprimé. Un cacatois de perruche se situe nécessairement à bord d'un 3MC (notion [7]) ou d'un 4MC (notion [8]).
Il semble bien que dans certains cas l'hyperonomase entraîne la disparition pure et simple de la notion Z hyperonyme. Elle est littéralement "phagocytée" par les notions Z hyponymes dès lors que l'hyperonomase rend inutile sa traduction dans les autres langues (on parlera ci-après de notion hyperonyme Z phagocytée ou Zph). Nous sommes persuadé que le dictionnaire de Paasch, conçu pour la traduction, obéit à ce principe de la phagocytose, lequel mérite assurément d'être approfondi d'un point de vue théorique.
Cette disparition pose inévitablement un problème de traduction : s'il est aisé de traduire les termes anglais mizen-royal et jigger-royal vers le français en usant de l'hyperonomase, force est de reconnaître que l'inverse n'est pas exact. Si, dans le cadre d'une relation générique (TY), l'hyperonyme peut toujours désigner l'hyponyme (car il l'englobe), inversement, l'hyponyme ne permet pas de désigner l'hyperonyme (car il est plus restreint). Confronté au terme français cacatois de perruche utilisé comme générique, le traducteur hésitera entre les deux hyponymes anglais (regroupés dans le dictionnaire de Paasch) et sans doute les coordonnera-t-il dans sa traduction.
Le caractère spécialisé du domaine abordé peut donner une complexité apparente aux deux phénomènes qui viennent d'être présentés : l'hyperonomase et la phagocytose. Il ne s'agit pourtant, a priori, que de cas où l'absence d'isomorphisme se traduit par une inclusion de la notion d'une langue dans la notion d'une autre langue.
On constate, en effet, que dans tous les cas où la phagocytose est envisageable, le référent des notions hyponymes peut être désigné par le terme hyperonyme. Dans tous les cas de notion Zph rencontrés, il apparaît que l'extension de Zph correspond parfaitement à l'addition des extensions de chacun de ses hyponymes. On dira que l'hyperonyme Zph est capable de désigner les objets conceptualisés comme co-hyponymes dans d'autres langues : il désigne les mêmes référents. Lyons (1970 : 349-350) a déjà évoqué à sa manière le problème de la notion Zph en montrant bien que dans le cadre d'une relation hiérarchique, le choix d'utiliser le terme hyperonyme pour désigner l'hyponyme permet de résoudre ce qu'il dénomme le non-isomorphisme des langues. Remarquons toutefois que Lyons concluait à l'absence de règle sémantique et au règne de l'intuition, constat que nous allons tenter de dépasser dans les pages qui suivent.
Il convient de rappeler que les notions Z et Zph n'existent que dans le cadre du R.N.I., c.-à-d. dans le cadre d'une confrontation des langues. A notre connaissance, le principe du recours à l'hyperonyme n'a jamais été établi en termes d'adaptation du R.N.I. aux besoins de la traduction. En accordant une si grande importance à la relation espèce-genre, vue comme foncièrement hiérarchique, Wüster avait assurément l'intuition de ce principe de l'hyperonomase. Toutefois, il n'a pas cherché à l'expliquer et ne l'a guère exploité [note 14], dans la mesure où il acceptait difficilement l'homonymie entre l'hyperonyme et l'hyponyme, perçue comme un sommet de l'ambiguïté plutôt que comme le résultat inévitable de la confrontation des langues.
Dans la théorie viennoise, les notions se composent d'un ensemble de caractères. Ces caractères, qui sont des propriétés des objets conceptualisés, permettent de différencier ou de rapprocher les notions [note 15]. Normalement, les genres sont distingués des espèces selon un même type de caractère, c.-à-d. en fonction de caractères fondés sur un même critère de subdivision [note 16] (p. ex. le nombre de mâts, dans la subdivision des voiliers en trois-mâts, quatre-mâts, cinq-mâts, etc.).
Tous les co-hyponymes d'un même hyperonyme possèdent inévitablement un certain nombre de caractères en commun, lesquels correspondent exactement aux caractères de leur hyperonyme. Tel est par exemple le cas pour les types de grands cacatois. On constate clairement dans le tableau qui suit que les trois hyponymes grand cacatois avant, grand cacatois central et grand cacatois arrière possèdent les mêmes caractères que leur hyperonyme grand cacatois, dont ils se différencient par un caractère au moins [note 17]. Rien n'interdit toutefois de dire que l'hyperonyme possède également ces caractères de manière virtuelle. Comment expliquer autrement que le terme grand cacatois puisse servir à désigner chacun des trois hyponymes? L'idée d'une prise en compte de caractères virtuels paraît d'autant plus envisageable que les terminologies dénomment fréquemment les hyponymes par des syntagmes qui adjoignent un caractère lexicalisé derrière le terme hyperonyme.
Tableau n° 7
grand cacatois : | 'cacatois'[note 18] | 'sur un grand mât' | 0 |
---|---|---|---|
grand cacatois avant : | 'cacatois' | 'sur un grand mât' | 'avant' |
grand cacatois central : | 'cacatois' | 'sur un grand mât' | 'central' |
grand cacatois arrière : | 'cacatois' | 'sur un grand mât' | 'arrière' |
Nous nommerons caractères virtuels les propriétés d'un objet qui, dans une langue donnée, ne sont pas conceptualisées pour délimiter la notion alors qu'elles le sont dans d'autres. Une telle approche implique, pour la rigueur du propos, que l'on reconsidère la définition de la notion proposée par l'ISO 1087 (1990 : 1) : dans un contexte multilingue, la notion doit, en effet, être définie comme la conceptualisation d'un ou plusieurs objets à partir de certaines de leurs propriétés (caractères), identifiées comme pertinentes dans une langue donnée.
En terminologie, les notions sont réputées stables. Ce qui est vrai tant qu'on demeure dans une perspective monolingue tend pourtant à devenir très relatif dans une perspective multilingue. En effet, dans le cadre d'une recherche d'équivalences au sein du R.N.I., le terme n'apparaît plus comme monosémique et, selon son sens, se traduira de telle ou telle manière. Ainsi, confronté à l'anglais et à l'allemand, le sens du terme français cacatois de perruche se met à varier (la notion se dédouble). Le tableau n° 8 mentionne les caractères considérés comme pertinents dans le système notionnel de chaque langue pour distinguer les cacatois de perruche. On y observe une correspondance exacte des caractères de la notion anglaise mizen-royal avec ceux de la notion allemande Kreuz-Royal, d'une part, et des caractères de la notion anglaise Jigger-royal avec ceux de la notion allemande Jigger-Royal, d'autre part.
Tableau n° 8
FR : cacatois de perruche [0] : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 0 |
---|---|---|---|
EN : mizen-royal : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 3MC' |
EN : jigger-royal : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 4MC' |
DE : Kreuz-Royal | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 3MC' |
DE : Jigger-Royal | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 4MC' |
On remarquera également que les caractères 'à bord d'un 3MC' et 'à bord d'un 4MC' ne sont pas nécessaires pour décrire la notion française cacatois de perruche. Toutefois, ces mêmes caractères 'à bord d'un 3MC' et 'à bord d'un 4MC', deviennent pertinents dans le cadre d'une traduction vers l'anglais ou l'allemand. En effet, dans le cadre du R.N.I., ces caractères doivent être pris en considération de manière à trouver une équivalence en vertu du principe d'équivalence notionnelle; c.-à-d. que pour arriver à désigner le même objet, il apparaît indispensable de le conceptualiser de la même manière.
Tableau n° 9
FR : cacatois de perruche [1] : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 0 > 'à bord d'un 3MC' |
---|---|---|---|
EN : mizen-royal : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 3MC' |
DE : Kreuz-Royal | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 3MC' |
FR : cacatois de perruche [2] : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 0 > 'à bord d'un 4MC' |
---|---|---|---|
EN : jigger-royal : | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 4MC' |
DE : Jigger-Royal | 'cacatois' | 'dernier mât' | 'à bord d'un 4MC' |
En théorie, tout hyperonyme, même éloigné, est apte à désigner de manière univoque le même objet que son lointain hyponyme : il suffit que la notion hyperonyme ne se distingue de la notion hyponyme que par des caractères virtuels. Cruse (1986 : 155) fait toutefois remarquer que le recours à l'hyperonyme engendre toujours une sous-spécification. Ceci explique sans doute que Paasch utilise toujours l'hyperonyme immédiat, lequel est d'ailleurs perçu comme le plus utile par Pierre Lerat (1988 : 20).
Dans le corpus de référence, seules les deux notions hyponymes subsistent après phagocytose de la notion Zph cacatois de perruche [0]. Par le mécanisme de l'hyperonomase, les caractères virtuels de l'hyperonyme sont activés au niveau hyponymique, de sorte qu'il se révèle apte à désigner chaque hyponyme. Dans la mesure où tous les caractères virtuels de l'hyperonyme Zph se trouvent ainsi activés sous toutes leurs valeurs possibles au niveau des hyponymes, ledit hyperonyme Zph ne désigne plus aucun objet qui ne soit concrètement représenté par ses hyponymes. La notion hyperonyme Zph devient donc superflue au sein du R.N.I. d'un dictionnaire de traduction et peut être phagocytée.
[7] Mizen-royal | Cacatois de perruche | Kreuz-Royal | 3MC |
[8] Jigger-royal | Cacatois de perruche | Jigger-Royal; Besahn-Royal | 4MC |
(Paasch 1901 : 341) |
Dans le cadre d'une entreprise visant à permettre la communication entre des locuteurs de langues différentes, il paraît plus utile de traduire deux notions spécifiques dans la langue qui ne les désignait pas que de rendre compte d'une notion générique que ladite langue était la seule à prévoir. S'agissant de désigner des objets, l'extension du générique correspond toujours au total des extensions des notions spécifiques. Dès lors que ces dernières sont dénommées dans chacune des langues, le générique ne constitue plus qu'une abstraction de peu d'utilité. La phagocytose paraît ainsi s'imposer d'elle-même dans le cas de la distinction entre les notions mizen-royal = cacatois de perruche [1] = Kreuz-Royal (3MC) et jigger-royal = cacatois de perruche [2] = Jigger-Royal (4MC), lesquelles rendent inutile toute référence à une notion recouvrant en même temps le cacatois de perruche d'un 3MC et celui d'un 4MC. En d'autres termes, au sein du R.N.I., l'hyperonyme Zph ne désigne rien que ne désignent déjà ses hyponymes.
L'actualisation du caractère virtuel au niveau hyponymique entraîne en traduction une modification implicite du sens de l'hyperonyme, mais il ne s'agit jamais que d'un artifice terminographique visant à établir l'équivalence. Que l'on parle du cacatois de perruche d'un 3MC ou de celui d'un 4MC, on le désigne toujours par le terme cacatois de perruche. Jamais il n'est demandé au locuteur francophone de revoir la manière dont il appréhende le réel au nom d'une quelconque normalisation.
Par ailleurs, si les notions sont classées en vertu du lien TY - et tel est le cas chez Paasch - , les homonymes nés d'une phagocytose se retrouvent normalement regroupés dans le dictionnaire. Le traducteur francophone peut ainsi découvrir que dans le cadre d'un contexte anglais ou allemand qui établit une nette distinction entre mizen-royal et jigger-royal, entre Kreuz-Royal et Jigger-Royal (cf. 3.4), il convient de spécifier davantage la portée du terme cacatois de perruche en y adjoignant un complément déterminatif (de trois-mâts carré, de quatre-mâts carré). Réciproquement, un traducteur anglais ou allemand découvrira que la traduction du générique français cacatois de perruche appelle une interprétation du contexte pour décider du caractère virtuel activé.
Dans les exemples produits jusqu'à présent, l'hyperonomase s'accompagne toujours d'une phagocytose de l'hyperonyme Z. Il est assurément des cas où l'hyperonyme n'est pas une notion Z et n'est donc pas "phagocytable". Toutefois, ces cas sont rares dans De la quille à la pomme de mât, sauf exceptions propres au chapitre des Termes généraux. C'est ainsi que la possibilité d'opérer une distinction entre les notions observatoire astronomique et observatoire météorologique n'exclut pas la nécessité de devoir éventuellement faire référence à la notion générique observatoire, dans le cas d'un établissement qui réunirait les deux fonctions, voire davantage.
Observatory. Any place from where a view may be observed. | Point d'observation. Un endroit quelconque duquel on jouit d'une vue. | Warte. Ein erhabener Ort von wo man eine freie Aussicht hat. |
Observatory. A building fitted with installations and instruments necessary for making astronomical, etc. observations. | Observatoire. Etablissement pourvu des installations et des instruments nécessaires pour les observations astronomiques, météorologiques, etc. | Warte. Ein für astronomische, meteorologische u.s.w. Beobachtungen eingerichtetes, und mit den hierzu erforderlichen Instrumenten ausgestattetes Institut. |
Observatory (astronomical). | Observatoire (astronomique). | Sternwarte. |
Meteorological-observatory. | Observatoire (météorologique). | Wetterwarte. |
(Paasch 1901 : 505) |
Tableau n° 10
Comme on le constate, l'arborescence n° 10 ne peut rendre compte de l'équivalence observatory = point d'observation = Warte, car la notion ainsi désignée n'appartient pas à la même arborescence TY. Il nous semble important de remarquer que si l'hyperonomase répond au principe d'équivalence notionnelle, elle n'en est qu'une forme d'accomplissement très particulière, liée à une relation hyponymique observable au sein du R.N.I.
Il ne peut être question de parler d'hyperonomase et encore moins de phagocytose pour les cas cités en 2.3 (watch, pilotage, route), car aucune des trois langues ne possède une notion qui serait l'hyperonyme de notions propres aux autres langues. Les caractères communs permettent tout au plus de déterminer un lien notionnel indéterminé qui fonde une relation fonctionnelle. P.ex., la bordée (watch) "est responsable de" la veille (watch) "pendant" le quart (watch); ou encore, le bureau de pilotage (pilotage) "est le centre des activités de" pilotage (pilotage).
La confrontation des notions peut aboutir à observer des cas où deux langues ne possèdent pas de désignation pour une réalité particulière, conçue comme incluse dans des notions plus larges mais dont l'extension varie d'une langue à l'autre. L'étude du dictionnaire de Paasch nous conduit à poser l'hypothèse de l'existence dans le R.N.I. de notions zéros virtuelles (Zv). Il s'agit de notions Z hyponymes qui, bien qu'elles ne soient propres à aucune langue, doivent être désignées par hyperonomase pour résoudre le problème d'équivalence posé par de tels cas.
Le phénomène de la notion Zv s'observe dans l'arborescence des types de cacatois. Les notions équivalentes mizen-royal = Kreuz-Royal correspondent à deux notions hyponymes en français : grand cacatois arrière (à bord d'un 4M ou d'un 5M) et cacatois de perruche (à bord d'un 3M). Conformément au principe de l'hyperonomase et de la phagocytose, le dictionnaire ne retient donc que les deux notions hyponymes du R.N.I. : d'une part, Mizen-royal [1] = Grand cacatois arrière = Kreuz-Royal [1] et, d'autre-part, Mizen-royal [2] = Cacatois de perruche = Kreuz-Royal [2].
Tableau n° 11
Si l'on considère à présent l'ensemble des désignations des cacatois au sein du R.N.I., on s'aperçoit que le second hyponyme (notion [7]) correspond à une notion que nous avons déjà décrites comme résultant d'une autre hyperonomase accompagnée de phagocytose, celle décrite dans le tableau n° 6. Dans la mesure où tout ceci doit paraître bien abstrait, nous avons essayé de recréer dans le tableau n° 11 une vue d'ensemble du R.N.I. avant phagocytose. La partie gauche de l'arborescence correspond au tableau n° 11; la partie droite, au tableau n° 6. Pour clarifier les notions, nous avons représenté les objets conceptualisés (voiles) par chacune d'entre elles. Il apparaît clairement que la notion [7] conceptualise exactement le même objet, quand bien même elle peut être appréhendée au départ d'hyperonymes distincts, mais possédant des caractères parfaitement compatibles : la partie gauche de l'arborescence distingue deux types de cacatois en fonction de l'emplacement du mât; la partie droite, en fonction du nombre de mâts. Ceci explique que dans le R.N.I. de De la quille à la pomme de mât, il ne s'agit que d'une seule et même notion, celle que nous avons identifiée par le chiffre [7].
Tableau n° 12
[6] Mizen-royal | Grand cacatois arrière | Kreuz-Royal | 4MC 4MB 5MB |
[7] Mizen-royal | Cacatois de perruche | Kreuz-Royal | 3MC |
[8] Jigger-royal | Cacatois de perruche | Jigger-Royal; Besahn-Royal | 4MC |
(Paasch 1901 : 341) |
Il s'agit d'un cas patent de notion Zv. En effet, la reconstitution du R.N.I. montre que la notion [7] n'existe dans aucune langue : elle est tout à la fois hyponyme de la notion Zph Mizen-royal [0] = Kreuz-Royal [0] (tableau n° 11) et de la notion Zph cacatois de perruche [0] (cf. tableau n° 6). La notion interlinguistique [7], présente dans le dictionnaire, est clairement une notion qui n'existe ni en anglais, ni en français, ni en allemand. Aucune de ces trois langues ne possède une notion aussi restreinte, qui ne renverrait qu'au seul cacatois du dernier mât d'un trois-mâts carré (3MC). Si le terminographe a créé cette notion virtuelle "de toute pièce", c'est bien pour permettre la traduction la plus juste, compte tenu de tous les référents envisageables.
L'illustration et la dénomination des référents permettent d'ailleurs d'aboutir empiriquement à une solution rigoureusement identique. Dans le tableau n° 13, inspiré du problème du découpage des couleurs proposé par Lyons (1970 : 46-47) [note 19], chaque case correspond à chacun des objets (cacatois) désignés dans chaque langue par un terme différent; en d'autres termes, chaque case représente l'extension de la notion dénommée par ce terme. La confrontation des découpages confirme bien que dans le cadre d'un dictionnaire trilingue, il faut envisager trois notions différentes au sein du R.N.I. pour arriver à désigner les trois référents envisageables.
Le modèle des notions Zph et Zv permet d'expliquer la manière dont de nombreux problèmes d'équivalence particulièrement complexes ont été résolus au sein du corpus de référence. On sera, par exemple, intrigué d'y découvrir quatre entrées diablotin, alors que les marins français considèrent que ce terme désigne une seule et même voile triangulaire (voile d'étai), toujours située devant le dernier mât (le mât d'artimon).
[1] Mizen-topmast-staysail | Diablotin | Kreuz-Stengestagsegel | (3MC) |
[2] Mizen-topmast-staysail | Diablotin | Besahn-Stengestagsegel | (3MB, BAR, 3MG) |
[3] Jigger-topmast-staysail | Diablotin | Kreuz-Stengestagsegel | (4MC) |
[4] Jigger-topmast-staysail | Diablotin | Besahn-Stengestagsegel | (4MB, 5MB) |
(Paasch 1901 : 343) |
Un examen approfondi montre que l'on distingue en allemand deux types de diablotin selon que cette voile se situe devant un mât d'artimon qui ne comporte que des voiles axiales (syntagme formé avec Besahn) ou qui comporte également des voiles carrées (syntagme formé avec Kreuz). En anglais, on se fonde sur le nombre de mâts pour distinguer les diablotins d'un 3M (syntagme formé avec mizen) et ceux d'un 4M (syntagme formé avec jigger). En français, on considère qu'il s'agit à chaque fois d'une seule et même voile. Le tableau n° 14 (arborescence) rend compte de la situation de ces notions au sein du R.N.I. dès lors que l'on prend en compte les caractères distinctifs propres à chacune des langues considérées.
Tableau n° 14
La solution du dictionnaire correspond à la prise en compte de notions virtuelles Zv qui préservent l'intégrité référentielle de chaque terme tout en permettant la traduction dans un R.N.I. trilingue. Cette solution est représentée sous forme d'arborescence dans le tableau n° 15. On y découvre que l'extension très large de la notion diablotin en français fait de celle-ci un hyperonyme Zph, tant vis-à-vis des notions anglaises que vis-à-vis des notions allemandes. Le découpage hyponymique en fonction de la disposition des voiles (en allemand) ou du nombre de mâts (en anglais) intervient au niveau immédiatement subordonné. On considérera donc que dans le R.N.I., il existe quatre hyponymes de diablotin [0] : Kreuz-Stengestagsegel [0], Besahn-Stengestagsegel [0], Mizen-topmast-staysail [0] et Jigger-topmast-staysail [0].
Tableau n° 15
Paradoxalement, toutes ces notions co-hyponymes constituent des notions Zph, à l'instar de diablotin [0]. En effet, elles ne possèdent aucun équivalent dans les deux autres langues. Toutefois, l'activation des caractères virtuels - qui correspond, plus simplement, à la prise en considération des référents - permet de dégager quatre notions Zv, propres à aucune langue, mais aptes à permettre une traduction dans les six sens envisageables dès lors qu'on les désigne au moyen de leurs hyperonymes respectifs. On observe dans l'arborescence n° 15 que les quatre notions Zv correspondent parfaitement aux notions mentionnées et illustrées dans le dictionnaire.
Ce mode de résolution suppose que dans un réseau multilingue, une notion hyponyme puisse être subordonnée à deux hyperonymes Zph différents. En fait, même dans un réseau monolingue, une notion hyponyme peut dépendre de plusieurs hyperonymes dès lors qu'elle conserve en les combinant les caractères différenciateurs desdits hyperonymes et qu'elle actualise leurs caractères virtuels. Une telle notion ne possédera pas de caractère différenciateur propre.
Force est de constater que dans les cas rencontrés, la notion virtuelle Zv combine toujours des caractères propres au système hyponymique de chacune des langues prises en compte. Les caractères combinés constituent ce que la théorie viennoise nomme des caractères indépendants [note 21].
Les caractères sont dits dépendants lorsqu'ils doivent nécessairement intervenir à des niveaux hyponymiques différents de la hiérarchie arborescente (Felber 1987 : 100). Par exemple, dans la distinction des types de navires, le caractère 'muni d'une chaudière' précède nécessairement des caractères comme 'muni de roues à aubes' ou 'muni d'une hélice', auxquels il est supérieur. En effet, les notions vapeur à roues et bateau à vapeur à hélice sont hiérarchiquement subordonnées à la notion (bateau à) vapeur.
Par contre, les caractères indépendants "peuvent se suivre à différents niveaux d'une série verticale de notions et être combinés arbitrairement" (Felber 1987 : 101). En d'autres termes, dans une même arborescence TY, des caractères indépendants peuvent servir à distinguer des co-hyponymes sur la base de critères de subdivision différents. Par exemple, les caractères 'fixe' ou 'volant', d'une part, et 'situé sur le mât d'artimon' ou 'situé sur le grand mât', d'autre part, permettent de distinguer quatre types particuliers de la notion hunier : hunier fixe et hunier volant d'une part, petit hunier et grand hunier d'autre part. Fondés sur des critères différents (la mobilité et l'emplacement), ces caractères sont indépendants dans la mesure où ils peuvent se combiner à un niveau inférieur pour distinguer les notions petit hunier volant, petit hunier fixe, grand hunier volant et grand hunier fixe.
Tableau n° 16
(d'après Paasch 1901 : 338-339)
Les notions hyponymes situées au croisement de deux typologies peuvent avoir autant d'hyperonymes qu'elles actualisent de critères propres à chacun d'eux. Ainsi, la notion petit hunier volant possède deux hyperonymes (petit hunier et hunier volant) et constitue le point de liaison de deux arborescences fondées chacune sur un critère de subdivision différent : la mobilité et le mât.
Notre approche théorique montre que l'équivalence possède un fondement relativement logique lorsqu'elle est obtenue au sein de la relation TY. Ce constat nous conduit à penser qu'une B.C.T. multilingue devrait être à même de déceler, voire de traiter, les notions Z au sein du R.N.I.
Dans la pratique, le R.N.I. d'un glossaire multilingue se doit d'être immédiatement utile pour le traducteur qui souhaite connaître l'équivalent idoine. Cette perspective est celle qui est logiquement suivie dans un dictionnaire conçu et présenté sur papier, tel que De la quille à la pomme de mât.
Idéalement, une B.C.T. multilingue devrait proposer un réseau par langue. Le R.N.I. ne serait constitué que dans un second temps par une comparaison des notions de chaque langue. Une exploitation logique de chaque réseau, fondée notamment sur les caractères et la relation TY, devrait permettre d'isoler les cas de non-isomorphisme et de proposer des équivalences acceptables. Jusqu'à cette date, aucun logiciel gestionnaire de données terminologiques n'a réellement été développé dans cette perspective [note 22]. Or, la construction d'un réseau notionnel interlinguistique peut se révéler complexe et risque d'être remise en cause dès qu'il sera décidé d'y intégrer une nouvelle langue.
Un logiciel de terminologie "intelligemment assistée par ordinateur" devrait, en réalité, être à même de formuler diverses propositions face aux impossibilités de traduction. Ainsi, lors d'une phase d'évaluation qui suivrait l'élaboration des réseaux de chaque langue, il pourrait émettre diverses propositions comme :
Proposition 1 : "Le terme français cacatois de perruche n'a pas d'équivalent en anglais, voulez-vous connaître les notions hyponymes en anglais?"
Proposition 2 : "Les hyponymes anglais de cacatois de perruche sont mizen-royal et jigger-royal et n'ont pas d'équivalents en français. Voulez-vous utiliser l'hyperonyme cacatois de perruche pour désigner ces hyponymes en français?"
Toutefois, des précautions s'imposent : il ne saurait être question de permettre au logiciel d'altérer l'information initiale. Il s'agit plutôt d'exploiter celle-ci, de l'interpréter à la manière d'un véritable système expert chargé de seconder le terminologue.
L'idée d'une hyperonomase et d'une phagocytose assistées demeure, bien sûr, une hypothèse qui doit se vérifier à l'épreuve des faits. Elle pose des problèmes qui méritent d'être étudiés avec beaucoup de précautions, notamment le report de la définition de l'hyperonyme phagocyté au niveau de l'hyponyme. La conséquence logique de l'hyperonomase serait que dans le R.N.I., l'extension des hyperonymes reportés au niveau subordonné (p.ex. cacatois de perruche) soit plus restreinte que celle qu'ils auraient dans un ouvrage monolingue [note 23].
Il est apparu en 2.3 et 2.4 que le principe d'équivalence notionnelle conduit à une multiplication des homonymes au sein du R.N.I. La plupart des notions citées en guise d'exemples sont classées par Paasch dans le chapitre des Termes généraux. Elles ne sont guère spécialisées et pourraient fort bien être traitées de la même manière dans un dictionnaire de traduction consacré à la langue générale. Par exemple, pour déterminer l'équivalent anglais du mot coque, il faut nécessairement préciser à quel concept on entend faire référence : à l'enveloppe d'un fruit ou d'un oeuf (= shell), à la carapace d'un mollusque (= cockle), à la carène d'un navire (= hull), etc.
En fait, il semble bien que le principe du dégroupement homonymique n'est qu'un avatar de la distinction entre homonymie et polysémie dans la tradition lexicographique. Tant que la perspective demeure monolingue, le lexicographe qui adopte une perspective homonymiques ne dispose que de peu de critères pour décider s'il y a lieu ou non d'attribuer plusieurs entrées à un même signifiant. P.ex., pomme reçoit quatre entrées dans le D.F.C. (1966) et six dans le Lexis (1987). Par contre, les dictionnaires fondés sur l'approche polysémique, comme les Petit et Grand Robert, utilisent le critère de l'étymologie pour décider du nombre d'entrées : ainsi, ils distinguent deux entrées bière, parce que le néerlandais bier et le francique bera ont connu des évolutions qui conduisent à attribuer des signifiants identiques à deux variétés bien distinctes de contenants.
Comparaison n'est certes pas raison, mais ce critère étymologique équivaut en quelque sorte, mutatis mutandis, à se servir de systèmes conceptuels propres à des langues étrangères pour présider au dégroupement homonymique. Traduites par exemple en anglais, les deux entrées bière requièrent des traductions différentes : beer et coffin, ce qui justifie l'existence de deux notions différentes au sein du R.N.I.
Les théoriciens de la lexicographie ont déjà abondamment disserté sur le caractère arbitraire du dégroupement homonymique basé sur une approche purement sémantique des notions. Il est bon de souligner que le P.E.N. fonde la norme non point sur des décisions arbitraires, mais sur une approche contrastive et une prise en compte de l'usage. Finalement, s'il y a un écart entre deux approches du sens, celui-ci sépare moins la terminographie et la lexicographie en soi que l'approche monolingue et l'approche multilingue. Cette dernière est nécessairement conceptuelle. Dès lors, s'il importe de faire référence à Wüster, ce n'est pas au nom d'une adhésion inconditionnelle à ses théories - vieillies sous plus d'un aspect -, mais parce que sa pensée fait écho à l'impérieuse nécessité, pour la traduction des langues de spécialité, de veiller à délimiter clairement le champ de l'équivalence.
Au fondement de l'hypothèse développée dans cet article, se situe la notion zéro. Par-delà son appellation nouvelle, nous pensons que ce concept doit faire figure d'évidence aux yeux de tout terminologue attentif à la prise en compte des liens notionnels. Lyons (1970 : 348) constatait déjà que "les vocabulaires des langues naturelles ont tendance à présenter beaucoup de cases vides, d'asymétries et d'indéterminations" à la différence de ce qui se produit dans les taxinomies scientifiques. Cruse (1986 : 145sv.) a longuement montré que dans une perspective monolingue, la prise en compte de la relation espèce-genre conduisait à observer des "vides" (gaps) à divers niveaux de superordination de l'arborescence TY.
Par la confrontation des réseaux de différentes langues dans le cadre du R.N.I., notre étude confirme cette hypothèse et montre que le cas du vide notionnel peut également concerner le bas de l'arborescence. De ce point de vue, il faut admettre que la physionomie du réseau des relations hyponymiques observées en terminologie nautique demeure proche de celle observée dans la langue générale. On peut penser qu'il en va de même dans les nombreux domaines de spécialité qui possèdent une longue histoire et qui, au contraire des taxinomies visées par Lyons (ibid.), ne font l'objet d'aucune harmonisation interlinguistique.
Le concept de notion zéro ne s'applique pas seulement au cas du vide notionnel classique. En effet, le dépouillement de De la quille à la pomme de mât atteste l'existence de notions virtuelles Zv, qui n'existent dans aucune langue mais qui sont nécessaires à l'établissement de l'équivalence dans le R.N.I. A notre connaissance, ce phénomène n'a jamais été décrit de la sorte [note 24]. Pourtant les notions Zv correspondent à des cas de chevauchement culturel et doivent être impérativement prises en compte si l'on veut bâtir une B.C.T. rigoureuse, apte à fournir des équivalents fiables. On peut penser, en effet, que l'oubli des notions Zv explique un bon nombre d'insuffisances des dictionnaires lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes d'équivalence partielle.
Les principes d'exploitation des notions Z ont été dégagés dans cet article à partir de faits terminographiques concrets observés au sein de systèmes clos. Ils semblent permettre une description plus fine des problèmes de chevauchement culturel que ne le permet la classique distinction entre "supériorité" et "intersection" présentée par Felber (1987 : 129). Cette représentation paraît, en effet, peu adéquate pour rendre compte du rapport étroit entre l'équivalence et la relation TY, qui, l'une comme l'autre, sont identifiées à l'aide des caractères des notions concernées. Certes, Felber utilise les caractères pour expliquer l'équivalence, mais il n'approfondit pas la liaison entre lesdits caractères et la relation TY et néglige ainsi le rôle fréquent de la relation hyponymique dans l'établissement d'une équivalence.
Dans toute arborescence fondée sur la relation espèce-genre TY, il y a une intersection partielle entre les compréhensions des co-hyponymes. Cette intersection rassemble tous les caractères communs aux co-hyponymes. Toutefois, il ne faut pas nécessairement assimiler le phénomène de l'intersection de deux notions à celui de l'équivalence partielle, parfois nommée intersection partielle. Ce n'est pas parce que deux notions possèdent plusieurs caractères en commun que l'on peut parler d'équivalence partielle : qui songerait à évoquer une équivalence partielle entre les mots sail et drap de lit du fait qu'ils désignent des notions qui partagent les caractères 'tissu', 'blanc' et 'couture'?
Le fait même de parler d'intersection sans faire référence à la relation hyponymique apparaît donc comme gênant. Tant dans le cas du phénomène dit de la supériorité que dans celui dit de l'intersection, les caractères de la notion hyperonyme correspondent à l'intersection en compréhension des caractères des différents co-hyponymes. Dans un cas comme dans l'autre, la notion hyperonyme représente donc une possibilité de dénomination du subordonné par recours au principe de l'hyperonomase. Notre analyse de diverses équivalences (mizen-royal, cacatois de perruche) atteste d'ailleurs que l'hyperonomase fonctionne aussi bien dans le cas dit de la supériorité que dans celui de l'intersection.
Assimiler l'intersection partielle à l'équivalence partielle peut même conduire à négliger le cas des notions virtuelles. Ainsi, on pourrait être tenté de dire que la notion Zv mizen-royal = cacatois de perruche = Kreuz-Royal constitue un cas "d'intersection partielle" entre le français d'une part et l'anglais et l'allemand, d'autre part. Or, cette notion est clairement un cas de conjonction [note 25] en compréhension (c.-à-d. du point de vue des caractères concernés). Parler ici d'intersection, équivaut à considérer la notion en extension (c.-à-d. du point de vue des référents concernés) et à traiter de l'équivalence partielle en mélangeant deux approches définitoires fondamentalement différentes.
Les concepts théoriques de la notion zéro - qu'elle soit hyponyme ou hyperonyme, réelle ou virtuelle - de l'hyperonomase et de la phagocytose nous paraissent plus précis et plus adéquats. Ils permettent de rendre compte de l'assise de la traduction proposée en vertu du principe d'équivalence notionnelle défini au début de cet article. Ils sont certes plus difficiles à comprendre, mais leur rigueur nous paraît à la mesure des exigences du modèle notionnel.
Le principe du R.N.I. trouve sa justification dans une approche terminologique qui prend en compte le terme, la notion et l'objet. Sous cet aspect, il demeure compatible avec le modèle triangulaire proposé par l'Ecole de Vienne et contribue à insister sur le rôle prédominant des caractères dans la distinction des notions. Toutefois, la prise en compte des caractères dans le R.N.I. se double de l'observation des différences dans la manière dont chaque langue les appréhende, alors que dans le modèle viennois les caractères émanent d'objets matériels ou immatériels sur lesquels les langues n'ont censément aucune prise.
La perspective du R.N.I. est sous-tendue par une approche descriptive qui combine les démarches sémasiologique et onomasiologique. La première permet de dresser un inventaire des notions à partir des termes utilisés dans les diverses langues envisagées et de confronter les caractères activés. La seconde consiste à dénommer toutes les notions répertoriées dans le R.N.I., mais en préservant, si possible, l'intégrité référentielle dans chacune des langues. En effet, des mécanismes comme l'hyperonomase, la phagocytose et la notion virtuelle permettent de respecter la manière dont la réalité est conçue et dénommée dans chaque langue.
Il convient cependant d'observer que notre modèle est conçu à partir d'une terminographie particulière, orientée vers des objets essentiellement concrets. S'il s'applique fort bien à des réalités tangibles, aux frontières aisément identifiables, il ne pourrait prétendre rendre compte des équivalences entre les notions juridiques caractéristiques de la Common Law et celles propres au Code napoléon.
Vue sous cet angle, cette modélisation doit avant tout être appréhendée comme un outil théorique permettant de mieux comprendre le mécanisme de l'équivalence et de l'analyser ponctuellement. Elle constitue également une piste de recherche pour l'élaboration d'un système informatique capable de mener rapidement un très grand nombre de raisonnements. Il est évident que la pratique de ce type de description n'est que d'un faible rendement pour le terminographe qui conçoit tout un dictionnaire et qui peut arriver au même résultat grâce à un travail soigné et respectueux du principe d'équivalence notionnelle.
Marc Van Campenhoudt
Centre de recherche TERMISTI
Institut supérieur de traducteurs et interprètes
Bruxelles
[1] La relation hyponymique retiendra plus particulièrement notre attention. La place des autres relations notionnelles dans le modèle a déjà été décrite dans la thèse (Van Campenhoudt 1994) que nous avons consacrée à ce dictionnaire sous la direction du professeur Pierre Lerat et dont cet article est issu.
[2] A la suite de Lyons (1970 : 45), nous parlerons de (non-)isomorphisme entre les langues et de chevauchement culturel.
[3] Lire notamment Wüster (1971 : 36sv. et 44-45; 1968 : 2.19; 1981 : 66 et 71). Ce constat est également présent chez Felber (1987 : 128sv.).
[4] Dans le même article, Wüster (1971 : 40-41) va même jusqu'à parler d'épuration, mot sans ambiguïté quant à la nature de la tâche de normalisation.
[5] Felber (1994 : 169) propose une intéressante modélisation de cette variation notionnelle en fonction des disciplines. Il est intéressant de noter que l'auteur ne tient pas compte du cas où la différence de conceptualisation est marquée par un terme différent. Il est vrai qu'un tel cas s'apparenterait étrangement à celui d'une inacceptable différence de découpage notionnel entre les langues...
[6] A ce sujet, lire également Arntz (1993 : 6-7).
[7] Sur les relations fonctionnelles, lire Lerat (1990).
[8] Les terminoticiens s'intéressent beaucoup aux travaux des cogniticiens, notamment à ceux qui ont abouti à la création de Wordnet (Miller 1990).
[9] Notre choix s'est porté sur ces voiles, car elles ne se subdivisent d'ordinaire pas en cacatois fixe et cacatois volant, ce qui a le mérite de simplifier le propos.
[10] Soit 1. Royal = cacatois = Royal, 2. fore-royal = Vor-Royal, 3. main-royal = Gross-Royal, 4. middle-royal = grand cacatois central = Mittel-Royal, 5. mizen-royal = Kreuz-Royal, 6. jigger-royal = Jigger-Royal, 7. grand cacatois, 8. grand cacatois avant, 9. grand cacatois arrière, 10. cacatois de perruche.
[11] 3MC = trois-mâts carré, 3MB = trois-mâts barque, 4MC = quatre mâts carré, 4MB = quatre-mâts barque, 5MB = cinq-mâts barque. Les gréements carrés se distinguent des gréements de barque par la présence de voiles carrées sur le dernier mât.
[12] Selon un principe de substitution très fréquemment attesté dans les textes spécialisés ("le hunier" utilisé pour "le grand hunier fixe"). Malheureusement, ce procédé fonctionne mal dans les phrases négatives (l'énoncé "ce n'est pas un grand hunier fixe" ne peut pas toujours être remplacé par "ce n'est pas un hunier").
[13] Ce néologisme est, certes, critiquable, mais permet d'éviter de lourdes circonlocutions. En récupérant onomase pour lui adjoindre hyper-, nous complétons la famille hyponyme, hyponymie, hyperonyme (proposée par Lyons 1970 : 347) tout en suivant - du moins en synchronie - le modèle de la famille paronyme, paronymie, paronomase.
[14] Dans le Dictionnaire multilingue de la machine-outil, Wüster (1968) utilise divers symboles qui permettent d'annoncer les cas d'équivalence partielle, mais non de les résoudre. Il ne recourt qu'exceptionnellement aux dégroupements homonymiques.
[15] "Caractère : Représentation mentale d'une propriété d'un objet (2.1) et qui sert à en délimiter la notion (3.1)." (ISO 1087 1990 : 2.)
[16] "Type de caractère : Toute catégorie de caractère utilisée comme critère dans l'établissement d'un système de notions générique" (ISO 1087 1990 : 2.) La norme ISO 704 (1987 : 4) parle de critère de subdivision, terme qui nous paraît plus transparent et que nous adopterons dans la suite de l'étude.
[17] "[...] le concept spécifique a les caractères du concept générique plus un au moins. Au fur et à mesure qu'on monte vers du plus général, on est en présence de concepts dits plus 'abstraits'." (Lerat 1990 : 81.)
[18] Par convention, les caractères sont représentés entre guillemets simples.
[19] Nous avons déjà analysé ailleurs le lien entre le problème des couleurs et le P.E.N. (Van Campenhoudt 1991 et 1994 : 70-71).
[20] Par souci de simplifier l'exposé, nous reproduisons exceptionnellement le terme allemand tel qu'il apparaît dans la quatrième édition du dictionnaire (1908), après stabilisation du système de désignation.
[21] La distinction entre caractères indépendants et caractères dépendants n'est malheureusement plus prise en compte dans les dernières normes ISO 704 (1987) et ISO 1087 (1990).
[22] Les rares logiciels qui, comme Code, Ikarus, MC4 ou Termisti, permettent de gérer les liens notionnels sont fondés sur une même démarche : les liens pris en compte dans un cadre multilingue sont ceux du R.N.I. et non ceux d'une langue particulière.
[23] Paasch a veillé à arranger ses définitions en fonction des hyperonomases et phagocytoses qu'il a réalisées et des dégroupements homonymiques qui en découlent.
[24] La norme ISO R 1087 (1969 : 8) précise qu'"une notion peut résulter de la combinaison d'autres notions, même sans égard pour la réalité", mais cet énoncé vise plutôt des découvertes scientifiques annoncées et non encore vérifiées.
[25] Dans la tradition viennoise, la détermination, la conjonction et la disjonction sont les types de rapports de combinaison qui peuvent unir trois notions dans le cadre d'une relation logique TY : (Felber 1987 : 104-105). Notre modèle conduit à remettre en cause cette approche (Van Campenhoudt 1994 : 103sv.).
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