4 LES RELATIONS HIÉRARCHIQUES

4.1 Relation hyponymique (espèce-genre)

Dans la théorie viennoise, les notions se composent d'un ensemble de caractères, qui sont des propriétés des objets conceptualisés, permettent de différencier ou de rapprocher les notions. Normalement, les genres sont distingués des espèces selon un même type de caractère, c.-à-d. en fonction de caractères fondés sur un même critère de subdivision.

Tous les co-hyponymes d'un même hyperonyme possèdent inévitablement un certain nombre de caractères en commun, lesquels correspondent exactement aux caractères de leur hyperonyme.

Le vocabulaire nautique comporte, comme beaucoup d'autres langages techniques, des syntagmes qui s'allongent à mesure que l'on descend la hiérarchie TY. Cet allongement formel est toujours dû au mécanisme de la détermination : par l'adjonction d'un élément lexical au terme hyperonyme, on précise le caractère supplémentaire attribué à la notion hyponyme. On sait, en effet, que la relation d'hyponymie peut se réaliser sur l'axe syntagmatique à défaut de le faire sur l'axe paradigmatique (Lyons 1970 : 351).

Ainsi, en français :

"[...] le concept spécifique a les caractères du concept générique plus un au moins. Au fur et à mesure qu'on monte vers du plus général, on est en présence de concepts dits plus 'abstraits'. Seuls les liens entre notions plus génériques et notions plus spécifiques sont considérés comme 'logiques'." (Lerat 1990 : 81.)

Tous les co-hyponymes d'un même hyperonyme possèdent inévitablement un certain nombre de caractères en commun, lesquels correspondent exactement aux caractères de leur hyperonyme. Tel est par exemple le cas pour les types de grands cacatois. On constate clairement dans le tableau qui suit que les trois hyponymes grand cacatois avant, grand cacatois central et grand cacatois arrière possèdent les mêmes caractères que leur hyperonyme grand cacatois, dont ils se différencient par un caractère au moins. Rien n'interdit toutefois de dire que l'hyperonyme possède également ces caractères de manière virtuelle : comment expliquer autrement que tout hyperonyme (p.ex. grand cacatois) puisse servir à désigner chacun de ses hyponymes (p.ex. grand cacatois avant)? L'idée d'une prise en compte de caractères virtuels paraît d'autant plus envisageable que, les terminologies dénomment fréquemment les hyponymes par des syntagmes qui adjoignent un caractère lexicalisé derrière le terme hyperonyme (détermination).

Tableau n° 5

grand cacatois 'cacatois' 'sur un grand mât' '0'
grand cacatois avant 'cacatois' 'sur un grand mât' 'avant'
grand cacatois central 'cacatois' 'sur un grand mât' 'central'
grand cacatois arrière 'cacatois' 'sur un grand mât' 'arrière'

Un tel exemple montre toute l'importance d'une identification des caractères lors de la structuration d'une arborescence espèce-genre. Il reste toutefois à souligner que le principal danger en terminologie multilingue serait de se fonder sur les termes d'une langue pour identifier les caractères, sans prendre en compte la définition des concepts qu'ils désignent. Il arrive que telle belle série de syntagmes dans une langue n'ait pas pour équivalent une série aussi harmonieuse dans d'autres langues. Ainsi, le terme anglais grasshopper-engine désigne en anglais un type de machine à vapeur; ses équivalents français et allemand machine à balancier libre = Balancier-Maschine mit schwingendem Hebel (Paasch 1901 : 111) suggèrent un lien hyponymique avec la notion beam-engine = machine à balancier = Balancier-Maschine (Paasch 1901 : 110), alors que l'anglais utilise une désignation (littéralement "machine sauterelle") qui ne suggère pas une telle filiation. Cet exemple montre que l'on ne peut pas se fier à la seule forme des termes pour décider des relations entre les notions qu'ils désignent.


4.2 Relations partie-tout

La relation partie-tout (PT) est souvent considérée comme plus difficile à manier que la relation "est un type de" (TY), notamment parce qu'elle pose de sérieux problèmes de transitivité; il reste qu'elle interagit inévitablement avec celle-ci et joue un rôle définitoire important. Au sein des relations hiérarchiques, la frontière qui sépare les liens TY et PT est parfois floue (Lyons 1978 : 253-257). De même, la frontière entre relations hiérarchiques et coordonnées (spatio-temporelles) peut elle-même paraître vague à certains moments. On pourra ainsi se demander si la marée haute est un moment de la marée, une partie de la marée ou un type de marée.

Les exemples de relations PT fournis dans le cours de terminologie de Felber (1987 : 105-107) concernent des réalités fort diversifiées. On y évoque les cas de la biochimie par rapport à la chimie et à la biologie ("intersection partitive", selon l'auteur), du couple humain composé d'un homme et d'une femme ("lien partitif"), de l'addition de briques qui sont toutes les parties identiques d'un mur ("lien partitif" également), du prédécesseur par rapport au successeur ("relation de succession"), ou encore du bois par rapport à l'armoire ("relation matériau-produit"). L'impression de désordre est grande et témoigne de la faiblesse de la théorie de la terminologie face à la complexité des relations partie-tout.

Depuis quelques années, de nombreux ponts sont jetés entre la terminologie et différentes branches des sciences du langage, telles la phraséologie, la sémantique lexicale ou, plus récemment, la psycholinguistique. C'est ainsi que l'étude des réseaux notionnels nous a conduit à approfondir la typologie des relations partie-tout proposée par Roger Chaffin, Douglas Herrmann et Morton Winston (Winston et al. 1987; Chaffin et al. 1988). Cette typologie, qui a inspiré le traitement des relations partie-tout dans le dictionnaire électronique WordNet (Miller 1990), paraît constituer une base intéressante pour mieux appréhender la place et la nature des relations partie-tout dans notre corpus de référence.

Consulter WordNet, dictionnaire électronique conceptuel de l'anglais (Princeton University).


4.2.1 MÉRONYMIE vs HYPONYMIE

Les auteurs de cette typologie adoptent une distinction utilisée par Cruse (1986), lequel désigne par méronymie l'ensemble des relations partie-tout, chaque relation méronymique unissant un méronyme (terme désignant la partie), voire des co-méronymes à un holonyme (terme désignant le tout). Les terminologues gagneraient assurément à adopter ces désignations qui permettent de distinguer les notions superordonnées et subordonnées au sein de la relation PT (holonyme vs méronyme) et au sein de la relation TY (hyperonyme vs hyponyme). Nous verrions même un avantage à ce qu'ils s'intéressent à la manière dont Cruse (1986 : 163-164) propose d'affiner ces distinctions, de manière à pouvoir situer les parties par rapport aux espèces et aux types. Ainsi, pour Cruse, ongle peut être vu comme méronyme d'un concept doigt, lui-même hyperonyme de doigt (de la main) et d'orteil. Il propose donc de préciser la terminologie en adoptant notamment les concepts suivants :

super-méronyme : méronyme hérité d'un hyperonyme en vertu de la loi d'héritage. P. ex., ongle est le super-méronyme de orteil; dans le domaine nautique laize est le super-méronyme de voile aurique, voile carrée, hunier, cacatois, etc.

hypo-holonyme : holonyme qui possède des parties propres à l'espèce dont il relève, du fait des lois d'héritage. P. ex., orteil est l'hypo-holonyme de ongle; dans le domaine nautique voile aurique, voile carrée, hunier et cacatois sont des hypo-holonymes de laize.

Tableau n° 6

super-holonyme : holonyme qui, en tant que notion hyperonyme, peut ou non posséder certaines parties, selon qu'on considère l'un ou l'autre de ses hyponymes. P. ex., personne est le super-holonyme de pénis et de vagin; dans le domaine nautique, voile est le super-holonyme de couillard.

hypo-méronyme : méronyme qui, par les lois d'héritage, peut éventuellement servir de méronyme à un hyperonyme de son holonyme. P. ex., pénis est le méronyme de homme et l'hypo-méronyme de personne; dans le domaine nautique, couillard est le méronyme de voile carrée et l'hypo-méronyme de voile.

Tableau n° 7

Ces distinctions nous semblent intéressantes, car elles fournissent une terminologie particulièrement adéquate pour rendre compte de nombreuses erreurs de structuration des réseaux notionnels dues à l'absence de prise en compte des principes d'héritage des propriétés et des parties. Un principe bien connu depuis les travaux de Quillian (1967) veut, en effet, que l'on situe les méronymes à la place la plus élevée possible dans l'arborescence espèce-genre.


4.2.2 CRITÈRES DE DISTINCTION DES MÉRONYMIES

Lyons (1978) et Cruse (1986) ont déjà eu l'intuition de décrire des critères de distinction des méronymies. Dans deux articles qui se complètent, Chaffin, Herrmann et Winston proposent, quant à eux, de les distinguer en fonction de quatre traits caractéristiques des parties : 'fonctionnel', 'homéomère', 'séparable' et 'simultané'.

A partir de ces critères, les auteurs identifient sept types de relations, toutes applicables aux domaines de spécialité, comme nous le montre le tableau n° 8. Nous ne revenons plus ici sur le détail de cette typologie, déjà abondamment décrite dans la littérature scientifique (Faits de langue 1996). On en trouvera une discussion approfondie chez Van Campenhoudt (1994b).

Tableau n° 8

Relations Exemples Fonctionnel Homéomère Séparable Simultané
CO composant-objet fusée - vergue + - + +
MC membre-collection navire - flottille - - + +
PM portion-mass maillon - chaîne d'ancre - + + +
MO matière-objet bois - vergue - - - +
LR lieu-région banc des Flandres-mer du Nord - + - +
CA caractéristique-activité virer - louvoyer + - + -
PP phase-processus marée haute - marée + - - -
Tableau recomposé d'après Winston et al. (1987 : 421) et Chaffin et al. (1988 : 20)

Chaffin et Herrmann (1988) distinguent leur approche de la conception traditionnelle des réseaux sémantiques, qui, disent-ils, représente par un lien les relations entre deux concepts, n'admet qu'un seul lien pour unir deux concepts et considère que la typologie des liens est limitée. Dans leur approche, les relations sont, au contraire, conçues comme variant en fonction d'éléments sémantiques propres, qu'ils nomment éléments relationnels (Winston et al. 1987 : 436). Pour eux, une relation sémantique (R) entre deux concepts (x et y) est une structure complexe composée d'un ou de plusieurs éléments relationnels dyadiques (Ea...En), de sorte que xRy => (Ea...En). Plus la proportion d'éléments communs à deux relations est grande, plus celles-ci sont similaires.

Le principal élément relationnel des méronymies est la connexion du tout et de ses parties. La nature de cette connexion varie en fonction des sortes de méronymies, c.-à-d. en fonction des traits distinctifs : 'fonctionnel', 'homéomère', 'séparable' et 'simultané'. Ceux-ci sont des éléments dépendants, alors que la connexion est, elle, un élément indépendant du fait de son caractère commun à toutes les méronymies. C'est ainsi que, selon les auteurs, la relation méronymique CO anse-tasse pourrait se représenter :

Une telle approche ne peut qu'intéresser les terminologues, lesquels se doivent d'évaluer le lien entre deux notions dans le cadre de leurs tâches de description. Selon les théories héritées de l'approche viennoise, les notions se distinguent par un ensemble de caractères, qui sont les propriétés des objets conceptualisés (ISO 1087 1990 : 2). Il nous paraît particulièrement productif d'établir un lien entre l'idée que les variétés de méronymies se distinguent en fonction d'éléments relationnels et celle que les caractères correspondent à certains de ces éléments relationnels.

L'expérience de la description des réseaux notionnels tend à confirmer l'existence d'une grande variété des relations méronymiques, dont la nature change en fonction des domaines décrits (cf. notre étude pour le domaine nautique dans Van Campenhoudt 1994b). La typologie proposée ci-dessus ne suffit assurément pas à décrire toutes les méronymies et il conviendrait, pour chaque domaine où la relation PT occupe une place importante, de déterminer quels sont les éléments relationnels ou caractères qui méritent d'être pris en compte. C'est ainsi que Cruse (1986) propose de distinguer d'autres traits caractéristiques, tels facultatif vs canonique, systémique vs segmental ou encore attaché vs intégrant. On pourrait encore envisager bien d'autres traits, telle la distinction proposée par Pascaline Merten (dans Blampain et al. 1992 : 57) entre unité structurelle (US) et unité fonctionnelle (UF) : certains composants n'ont pas de fonction précise et constituent en fait la structure du tout. Ainsi, le chaînon d'une chaîne d'ancre constitue une unité structurelle (méronyme CO-US) et la manille une unité fonctionnelle (méronyme CO-UF).


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© , Centre de recherche Termisti
février 1996.