Il est légitime qu'un traducteur professionnel s'interroge sur l'intérêt de tout ce qu'il a lu. En quoi toute cette théorie pourrait-elle l'aider à améliorer sa gestion terminologique?
D'un point de vue théorique, le modèle quadripartite de Wüster est peu compatible avec l'approche saussurienne du signe. De même, ses projets de normalisation ne s'inscrivent guère dans le fil de la linguistique descriptive. On peut donc considérer que les théories de Wüster ont fort vieilli, ce qui explique que nous avons veillé à élargir le champ des références à des études de linguistique plus récentes.
Il reste que le travail de Wüster a le mérite de mettre l'accent sur des aspects qui se doivent d'être sérieusement envisagés par tout terminographe.
Faire de la terminologie multilingue, c'est donc d'abord observer les divergences conceptuelles entre les langues et décrire systématiquement un domaine du savoir. Rédiger une fiche chaque fois qu'on rencontre un problème de traduction n'est pas une démarche de terminologue, car on se contente alors de traduire de la langue A vers la langue B sans se soucier de la traduction de la langue B vers la langue A. Ce n'est pas parce qu'on a découvert que strawberry se traduit parfois par fraise qu'on peut en déduire que fraise se traduit toujours par strawberry! Hélas, un bon nombre d'auteurs de dictionnaires spécialisés n'ont toujours pas intégré cette évidence.
Le terminologue travaille sur un domaine restreint : faire le tour de tous les concepts de ce domaine et étudier leurs rapports témoigne avant tout d'un souci de systématicité.
Établir les liens hiérarchiques "espèce-genre" et "partie-tout" pour chacune des langues est une excellente manière de débusquer les problèmes de traduction. Les arborescences que nous présentons pour la famille des cacatois attestent de l'intérêt fondamental de cette démarche, systématiquement appliquée dans les glossaires de TERMISTI.
S'interroger sur les liens qui unissent les notions et sur la nature de ces liens n'est pas un jeu spéculatif. Dans les dictionnaires, la majeure partie des définitions fonctionnent par compréhension et sont donc fondé sur la relation hiérarchique "espèce-genre" :
A = { x | x possède les caractéristiques a, b et c}
où x est l'hyperonyme et a, b et c sont les caractères différenciateurs par rapport à l'hyperonyme et à d'éventuels co-hyponymes. Ainsi le taureau est-il défini par le Nouveau Petit Robert (1993) comme un "mammifère bovidé domestique, mâle de la vache".
taureau = {mammifères | mammifère possède les caractéristiques 'bovidé', 'domestique', 'mâle'}
S'interroger sur la nature du lien hiérarchique "partie-tout" conduit à se demander s'il faut préciser la fonction, l'emplacement, la matière, la nature facultative, etc. Songer aux relations fonctionnelles, c'est penser à d'autres informations fondamentales qui méritent d'être données.
On pourra utilement approfondir l'étude de la définition en consultant les divers ouvrages cités dans la bibliographie.
Si dans un dictionnaire imprimé, les notions sont classées de manière logique (plutôt qu'en fonction du classement alphabétique dans une langue), le traducteur non initié au domaine progressera plus rapidement. Quant au traducteur déjà spécialisé, il ne devra plus passer par les index : il ira immédiatement à la bonne page du bon chapitre (il sait que cacatois est logiquement classé dans le chapitre "gréement", section "voiles carrées", après les voiles de perroquet).
Le classement de type logique constitue souvent une garantie de sérieux lors de l'achat d'un dictionnaire spécialisé : si l'auteur a travaillé de manière systématique, il y a toute les chances que l'on puisse sans problème changer la langue source et la langue cible. Si le classement est alphabétique, on conseillera de se mettre à la recherche des doublons : ils sont généralement la trace d'un travail peu fiable, attesté par la diversité des équivalences proposées en l'absence de toute description conceptuelle (sous-domaine, définition, illustration...). Ainsi, comment décider de la traduction du terme français goujon en consultant tel dictionnaire de marine, dont nous reproduisons des extraits ci-dessous?
Il est vrai que dans de nombreuses terminographies multilingues, les notions très particulières ne sont pas définies, par mesure d'économie. Une telle démarche n'est acceptable que si les co-hyponymes sont regroupés sous leur hyperonyme et classés en fonction de leur critère de subdivision, en sorte que l'on puisse aisément retrouver la définition du type général. Ainsi dans l'extrait suivant :
Bunt-line. Bunt-lines are ropes, by which the foot of a square-sail is hauled towards the yard. | Cargue-fond. Les cargues-fonds sont des manoeuvres par lesquelles le fond d'une voile carrée est relevé vers la vergue. | Bauchgording; Buggording. Benennungen für die Taue, mittelst welcher der Fuss eines Raasegels aufgeholt, d.h. an die Raa gezogen wird. |
Lower-bunt-line. See Pl. 84. 135, 136, 137 & 138. | Cargue-fond d'une basse voile. Voy. Pl. 84. 135, 136, 137 & 138. | Bauchgording eines Untersegels. Siehe Pl. 84. 135, 136, 137 & 138. |
Fore-bunt-line. See Pl. 84.135. | Cargue-fond de misaine. Voy. Pl. 84.135. | Fock-Bauchgording. Siehe Pl. 84.135. |
Main-bunt-line. See Pl. 83. 43. | Cargue-fond de grande voile. Voy. Pl. 83. 43. | Gross- Bauchgording. Siehe Pl. 83. 43 |
Main-bunt-line (Four-, or Five-mast-Vessel). See Pl. 84. 136. | Cargue-fond de grande voile avant (Navire à quatre mâts ou à cinq mâts). Voy. Pl. 84. 136. | Gross- Bauchgording (Vier-, oder Fünfmast-Schiff). Siehe Pl. 84. 136. |
Middle-bunt-line (Five-mast-Vessel). | Cargue-fond de grande voile centrale (Navire à cinq mâts). | Mittel-Bauchgording (Fünfmast-Schiff). |
Crossjack-bunt-line. See Pl. 83.45. | Cargue-fond de voile barrée. Voy. Pl. 83.45. | Kreuz-Bauchgording. Siehe Pl. 83.45. |
etc. | etc. | etc. |
(Paasch 1901 : 309)
Les liens entre les concepts constituent l'un des fondements majeurs de l'intelligence artificielle. Établir des liens permet de rendre l'ordinateur intelligent et donc de lui poser des questions : "quelles sont les parties de x?", "en quelle matière est x?", "à quoi sert x?", etc. De tels systèmes n'existent qu'à l'état de prototypes, mais deviendront le standard futur : celui des bases de connaissances terminologique (B.C.T.).
Dans la mémoire d'un ordinateur, les liens sont exprimés par un code cryptique, mais un peu de programmation permet alors d'exprimer ces liens dans une infinité de langues. Les liens proposés dans les glossaires de TERMISTI sont au départ des codes du type 087-H1-003, où les chiffres 087 et 003 renvoient à deux notions (fiches) différentes et le code H1 à un lien hiérarchique "est un type de". En consultant la fiche 087, on découvre ce lien exprimé automatiquement en cinq langues et on à la possibilité de consulter la fiche 003. Encoder des liens, c'est donc proposer des éléments définitoires dans une infinité de langues.
On conseillera de veiller à acquérir au minimum un logiciel qui permette de faire des renvois hypertextuels, en sorte que l'on puisse établir des liens entre les fiches. Un produit comme Multiterm permet déjà de diversifier les liens pour qui prend la peine de les mentionner explicitement.
Visualiser une fiche réalisée à l'aide de Multiterm
Dans l'état actuel des choses, ces pages n'expliquent pas comment concevoir une base de données terminologiques. Des différents chapitres découlent toutefois des principes minimaux que nous énumérons ici :
C'est vrai, le traducteur travaille dans l'urgence et n'a guère le temps de faire de la fine terminologie. Il n'a même pas les moyens d'engager un terminologue...
Ces pages devraient au moins l'aider à jeter un regard critique sur la fiabilité de ses propres listes d'équivalences et sur celle des dictionnaires qu'il consulte ou que l'on tente de lui vendre à prix d'or.